L’exploitation du chanvre par l’homme remonte au Néolithique et court jusqu’à nos jours. Des millénaires durant lesquels l’utilisation de cette plante et des substances qu’elle sécrète ont évolué. Ses propriétés textiles, alimentaires, thérapeutiques et psychotropes sont diversement exploitées en fonction des époques, des géographies, des connaissances et des techniques. Le CBD, une des molécules synthétisées par la plante, suscite aujourd’hui un intérêt croissant. Retour sur l’histoire du chanvre et du CBD, dont les péripéties ne se cantonnent pas à la botanique et couvre de nombreux autres domaines.
Les premiers usages du chanvre
Néolithique : l’utilisation du chanvre dès l’avènement de l’agriculture
L’utilisation du chanvre a été démontrée dans plusieurs foyers préhistoriques sans qu’une origine géographique unique n’ait été certifiée. Cette plante pourrait provenir de la région du lac Baïkal et des plaines de l’Asie centrale, des rives du fleuve Jaune en Chine ou encore des contreforts indiens de l’Himalaya.
Les fouilles du site néolithique de la grotte de Xianren, dans la province chinoise de Jiangxi, ont mis à jour des poteries datées de 8000 av. J.-C. et ornées avec du chanvre.
Dans le centre-est de l’Allemagne, dans la Thuringe, une fouille archéologique à Eisenberg a dévoilé des semis de chanvre à côté de poteries datant du 5500 av. J.-C.
L’agriculture imaginée durant le Néolithique semble avoir été pensée notamment par l’exploitation de cette plante. Par la suite, le chanvre a dû se répandre dans le monde, au gré des migrations et des conquêtes, tout au long de l’histoire.
L’Antiquité : la diversification de l’utilisation du chanvre
Les productions à base de chanvre se sont diversifiées durant l’Antiquité. Les fibres solides de la plante servent alors à la confection de tissus plus élaborés et à des utilisations plus variée. La matière grasse des graines est aussi utilisée pour ses vertus nourrissantes. La résine est déjà employée pour soigner certains maux. Le chanvre est probablement aussi utilisé pour ses effets psychotropes dès cette époque.
Le Shennong Bencao jing, un traité chinois sur plantes médicinales daté entre la XXVIIIe et le XXVIIe siècle av. J.-C., classifie le chanvre parmi les remèdes d’origine végétale.
L’utilisation du chanvre est aussi mentionnée dans un traité médical sur papyrus daté du XVIe siècle av. J.-C., écrit probablement sous le règne d’Amenhotep Ier. Les Egyptiens se servent apparemment de l’huile de graines de chanvre pour calmer les inflammations.
Au cours du Ve siècle av. J.-C., l’historien grec Hérodote décrit l’utilisation que les Scythes, un peuple nomade d’Eurasie, font du chanvre à son époque : « Les Scythes prennent la graine de ce chanvre, se glissent sous le feutre, et la jettent sur les pierres rouges, où il répand un parfum et une vapeur telle qu’il n’y a pas en Grèce d’étuve pareille. Les Scythes aiment prodigieusement cette fumigation, au point qu’ils rugissent de plaisir ; elle leur tient de bain, car ils ne se baignent jamais dans l’eau ».
L’écrivain et naturaliste Pline l’Ancien, au Ier siècle de notre ère, évoque la plante et son usage dans ses livres sur l’Histoire naturelle : « Le chanvre appartient encore à la catégorie des plantes que je nomme férulacées. (…) Le chanvre, si utile à la fabrication des cordages, se sème à partir du Favonius ; plus on le sème dru, plus les tiges en sont menues. La graine est mûre, et se récolte à l’équinoxe d’automne ; on la fait sécher au soleil, ou au vent, ou à la fumée. Le chanvre lui-même s’arrache après la vendange ; on le taille dans les veillées. »
Au IIe siècle, le médecin Grec Galien évoque cette plante dont : « Certains pressent les graines encore vertes pour en obtenir un jus qu’ils utilisent dans le traitement des otalgies. »
Le siècle suivant, le chirurgien chinois Hua Tuo anesthésie ses patients grâce au chanvre avant de les opérer. D’ailleurs, l’idéogramme du chanvre suivi de celui de l’ivresse signifie l’anesthésie dans sa langue.
Moyen-âge : les enjeux stratégiques du chanvre
Le chanvre est un enjeu stratégique majeur à partir du Moyen-âge. En plus de son utilisation pour les vêtements, il permet la confection des toiles et des cordages des navires. Voilà pourquoi Charlemagne a encouragé sa culture dès le VIIIe siècle.
Les Arabes perfectionnent la fabrication d’un papier à base de chanvre à partir du VIIIe siècle. La culture de cette plante accompagne ensuite leurs conquêtes en Afrique du Nord, en Espagne, en France et en Sicile.
Figure importante du XIIe siècle, l’abbesse allemande Hildegarde de Bingen cultive le chanvre pour les vertus qu’elle lui prête : « Le chanvre est chaud, et il pousse quand l’air n’est ni trop froid ni trop chaud, telle est sa nature. Sa graine contient la santé, et, pour les gens en bonne santé, il constitue une saine nourriture ; dans l’estomac, il est léger et utile, parce qu’il diminue quelque peu les écoulements d’humeurs, et on peut le digérer facilement, et il diminue les humeurs mauvaises et renforce les bonnes. Cependant, si on a la tête fatiguée et le cerveau vide, et que l’on mange du chanvre, celui-ci provoquera facilement une légère douleur dans la tête. En revanche, à celui qui a la tête en bonne santé et le cerveau plein, il ne fait point de mal. Si on est vraiment malade, il provoquera un peu de douleur dans l’estomac. Chez celui qui n’est qu’un peu fatigué, son absorption ne fait point de mal. »
Grâce à ses activités de marchand, Marco Polo devient un explorateur du monde du XIIIe et du XIVe siècle. Après un voyage en Perse, il relate l’existence d’une secte d’assassins créée au XIe siècle et basée dans la forteresse d’Alamut, qui buvaient un breuvage à base de chanvre.
L’anecdote du Professeur CBD
« L’étymologie du mot ‘assassin’ pourrait provenir des ‘hashshâshîn’, c’est-à-dire des combattants d’Alamut qui font usage du hashîsh, la résine du chanvre. »
La Renaissance : le chanvre sous les foudres des religions
Durant la Renaissance, l’Eglise catholique s’attaque aux pratiques qualifiées de sorcellerie. De ce fait, le chanvre est moins bien perçu à cette époque, son utilisation étant davantage interprétée comme un pratique hérétique plutôt que curative. En terre d’Islam, la plante est aussi critiquée. L’émir égyptien Sudun Scheichuni interdit la culture du chanvre en 1375.
L’anecdote du Professeur CBD
« Dans Le Tiers livre des faits et dits Héroïques du noble Pantagruel paru en 1546, François Rabelais évoque le chanvre sous un autre nom : le Pantagruélion. »
Les temps modernes : l’intérêt militaire du chanvre
L’économie navale et militaire du XVIIe et du XVIIIe siècle donnent la part belle au chanvre, alors que son usage récréatif se veut plus confidentiel. A cette époque, un navire de taille moyenne représente plusieurs dizaines de tonnes de chanvre en comptant les voiles et les câbles. Voilà pourquoi les colons espagnols et portugais le cultivaient en Amérique latine.
Le roi Louis XIV, secondé par le ministre Colbert, décide de redonner sa puissance maritime à la France dans les années 1660, notamment pour contrer la Navy anglaise. La Corderie Royale, construite en 1666 à Rochefort, bénéficie alors d’un approvisionnement en chanvre très important, organisé et sécurisé.
Ouvrage majeur du XVIIIe siècle, l’Encyclopédie réalisée sous la direction de Denis Diderot et de Jean Le Rond d’Alembert évoque aussi le chanvre, la manière dont il est cultivé, travaillé, utilisé. Il est aussi fait mention de ses propriétés psychotropes.
Le taxinomiste suédois Carl von Linné donne à la plante son appellation scientifique et latine en 1753 : le Cannabis sativa L. Le mot « chanvre » est la dénomination française de cette plante.
En 1794, le premier président des Etats-Unis George Washington demande que le chanvre soit cultivé dans les plantations de sa demeure de Mount Vernon : « Prenez le plus possible de graines de chanvre indien et semez-en partout ».
L’époque contemporaine : le chanvre se heurte aux avancées technologiques et aux mœurs
Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, la marine britannique dépend presque totalement du chanvre russe pour ses voiles et ses cordages. Le traité de Tilsit signé le 7 juillet 1807 par le tsar Alexandre Ier et Napoléon acte notamment que le Russie doit mettre fin à ses relations commerciales avec la Grande-Bretagne. Mais ces échanges reprennent en 1811 et incitent l’empereur français à mener la campagne de Russie qui inflige une défaite cuisante à la Grande Armée.
L’Occident du XIXe siècle s’intéresse davantage au potentiel récréatif et médicinal du chanvre, notamment par le biais de l’utilisation qui en est faite dans les pays de ses conquêtes coloniales.
Dans les années 1830, le docteur Moreau de Tours rapporte à Paris du haschich qu’il a découvert lors d’un voyage en Syrie. Avec le peintre Fernand Boissard, malgré l‘interdiction de la consommation de la plante, il créé le Club des hachichins en 1845, situé à l’hôtel Pimodan, sur l’île Saint-Louis à Paris. De nombreux artistes de l’époque fréquentent l’endroit : Théophile Gautier, Alexandre Dumas, Honoré de Balzac, Gustave Flaubert, Charles Baudelaire ou encore Eugène Delacroix.
Théophile Gautier écrit même une nouvelle intitulée Le Club des Haschischins et parue le 1er février 1846 dans la Revue des deux Mondes, dont voici un passage : « Mon cher Théophile, il se prend du haschich lundi prochain 3 novembre sous les auspices de Moreau de Tours et d’Aubert-Roche, veux-tu en être ? Dans ce cas, arrive entre 5 et 6 heures au plus tard. Tu prendras ta part d’un modeste dîner, et tu attendras l’hallucination ».
L’anecdote du Professeur CBD
« Théophile Gautier a notamment écrit : ‘J’étais dans cette période bienheureuse du haschisch que les Orientaux appellent le kief’. Ce mot désigne aussi la substance résineuse extraite du cannabis. Ce serait d’ailleurs l’origine étymologique du verbe kiffer en français ! »
Au XIXe siècle, en Europe comme aux États-Unis, le chanvre est utilisé pour ses vertus médicinales et compose des médicaments parmi les plus vendus par les pharmacies. La concrétisation des travaux de Sir William Brooke O’Shaughnessy, un médecin irlandais, qui revient en 1841 d’un séjour de neuf ans en Inde et présente les vertus thérapeutiques du chanvre. Mais cette utilisation de la plante décline à la fin du siècle, au profit de l’aspirine notamment.
La révolution industrielle du XXe siècle entraîne l’exploitation de nouvelles fibres exotiques ou synthétiques qui sont utilisées au détriment du chanvre. Dans l’industrie du papier, le bois est préféré. De nombreux pays, dont la France, prennent des mesures répressives à l’encontre du chanvre, car sa consommation est de plus en plus mal vue en Occident. Les avancées industrielles ainsi que la décolonisation ont probablement accentué cette tendance.
En 1925, une convention internationale relative aux stupéfiants est ratifiée à Genève par la plupart des pays du monde. Ces derniers s’engagent à lutter contre le trafic de drogue, chanvre inclus.
La science découvre et étudie le CBD
L’isolation d’une molécule du chanvre : le CBD
Il faut attendre 1939 pour que les équipes d’Alexander Todd et de Roger Adams réussissent à isoler la molécule du cannabidiol (CBD). Cependant, ils ne décrivent pas sa structure chimique.
Les scientifiques Raphael Mechoulam et Yuval Shvo, de l’université hébraïque de Jérusalem, y parviennent en 1963. L’année suivante, leur équipe réussit à isoler le THC et à identifier sa structure. Elle parvient même à synthétiser le CBD et le THC.
Dans les années 1960, le mouvement hippie octroie une popularité grandissante au chanvre, mais davantage pour les effets du THC que pour ceux du CBD. Cependant, c’est à cette époque que l’INRA et la Fédération nationale des producteurs de chanvre (FNPC) décident d’entamer un programme de sélection variétale pour mettre au point du chanvre à faible teneur en THC. Ces travaux permettent de maintenir la production de chanvre en Europe, en évitant les objections liées à l’usage psychotrope de la plante.
Expliquer l’influence du CBD : la découverte du système endocannabinoïde
Allyn Howlett et son équipe de l’université de Saint Louis découvrent en 1988 que le THC peut se lier à des récepteurs de la surface des cellules cérébrales. Il s’agit d’une preuve qu’il existe un système dans les corps de certains êtres vivants grâce auquel cette molécule peut agir : le système endocannabinoïde.
L’anecdote du Professeur CBD
« Comme le THC sécrété par le cannabis (chanvre) a permis de détecter l’existence d’un système de récepteurs dans nos corps, la dénomination de ce système fait référence au cannabis : le système endocannabinoïde. Mais attention, car les cannabinoïdes, les substances qui peuvent interagir avec ce système, ne proviennent pas forcément du chanvre ! »
Un des membres de l’équipe d’Allyn Howlett, le chercheur américain William Devane, poursuit ses recherches dans le laboratoire de Raphael Mechoulam à Jérusalem. Il découvre, isole et caractérise un cannabinoïde synthétisé par l’organisme lui-même : l’anandamide. L’existence du 2-arachidonylglycérol (2-AG), un autre endocannabinoïde, est prouvée par Takayuki Sugiura et Raphaël Mechoulam en 1995.
Les années suivantes, des recherches parviennent à prouver l’existence de récepteurs endocannabinoïdes à différents endroits du corps. Le potentiel thérapeutique de l’exploitation du système endocannabinoïde mobilise progressivement la recherche depuis sa découverte.
La démonstration de l’effet d’entourage
Le travail d’un groupement de chercheurs publié en 1998 démontre que l’intensité des effets d’un cannabinoïde peut varier en présence d’un autre cannabinoïde, de terpènes ou de flavonoïdes du chanvre. La synergie de cette interaction est appelée l’effet d’entourage. Une molécule comme le CBD, extraite et consommée sans autre composante du chanvre, provoque donc des effets différents.
Les propriétés prêtées au CBD
Depuis les années 1970 et jusqu’à aujourd’hui, des recherches sur le CBD avancent que cette molécule aurait des propriétés thérapeutiques. Cela concerne notamment la lutte contre l’épilepsie, les cellules cancéreuses ou encore les troubles psychotiques.
D’ailleurs, deux médicaments contenant du CBD sont actuellement autorisés en France, ce qui prouve que certaines vertus lui sont concédées par les autorités de santé. Ces médicaments peuvent être prescrits contre la sclérose en plaque et certains cas persistants d’épilepsie.
Le succès des produits naturels, une aubaine pour le chanvre et le CBD
Les préoccupations environnementales s’accentuent progressivement depuis la fin du XXe siècle. Cette tendance stimule la filière du chanvre dans des domaines extrêmement variés : textile, construction, alimentation, bio-carburants, bien-être, etc.
Le renouveau de la filière chanvre
En Europe, la superficie des cultures de chanvre croît de façon importante. D’autant que les cultivateurs perfectionnent leurs méthodes de production et utilisent de nouvelles variétés botaniques conçues spécialement pour la composition de produits précis.
Sur Internet, des sites dédiés au chanvre et au CBD fleurissent, permettant à chacun de s’informer et de tester des produits de plus en plus variés. Les boutiques physiques participent aussi à ce mouvement, notamment sur le marché alimentaire, cosmétique, de la vape et du bien-être.
Le succès des solutions naturelles
Le XXIe siècle constitue un tournant en matière de politique environnementale. De nombreux pays adoptent des mesures plus en phase avec le développement durable, dont l’obligation de mieux recycler et de limiter les productions de matières non-recyclables. Ces mesures répondent notamment à la défiance envers les produits chimiques qui pousse les consommateurs vers les solutions naturelles.
Le chanvre et le CBD s’inscrivent pleinement dans cette mouvance, d’autant que la recherche attribue de plus en plus de propriétés thérapeutiques à cette molécule et que son utilisation dans le domaine de la santé va en grandissant.
Un tournant législatif favorable
Cet engouement pour les solutions naturelles et les études scientifiques qui les accompagnent incitent de nombreux pays à assouplir leur législation, pour permettre l’utilisation du chanvre thérapeutique. Des années 1990 à aujourd’hui, de plus en plus d’Etats américains autorisent cette consommation de la plante. Le Canada et la Belgique prennent se tournant en 2001, les Pays-Bas en 2003, Israël en 2006, le Chili et la Colombie en 2015, l’Allemagne, l’Argentine, le Mexique et le Pérou en 2017, le Royaume-Uni, le Portugal, le Luxembourg, la Lituanie et la Thaïlande en 2018, Chypre en 2019. Une expérimentation de deux ans doit débuter en France en 2020.
Un potentiel thérapeutique à révéler
Des années 1990 à nos jours, en parallèle de la vague de légalisation du cannabis thérapeutique, les études scientifiques sur le CBD et ses propriétés se multiplient. Elles prêtent à cette molécule la capacité de lutter contre :
- La sclérose en plaque
- L’épilepsie
- La douleur
- L’inflammation
- L’anxiété
- La psychose
- Les troubles neurologiques
- Les rhumatismes
- Les vomissements
- Le cancer
- Le diabète
- Les problèmes de foie
- Les comportements addictifs
Un nouvel « or vert » ?
Les experts pensent que le marché mondial du chanvre deviendra extrêmement florissant dans les prochaines années, particulièrement en Europe et en Amérique du Nord. Sur le Vieux Continent, le chiffre d’affaires du marché du CBD pourrait quadrupler entre 2020 et 2025.
Les producteurs investissent dans l’agrandissement et le perfectionnement de leurs cultures de chanvre, notamment au Canada, au Danemark, au Portugal et en Grèce. La demande en CBD croît fortement et l’offre se diversifie. Le chanvre et le CBD sont des marchés en pleine expansion, une véritable opportunité économique.